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ARTICLE / L'imagerie Pellerin et la légende napoléonienne

Publié le 3 mai 2021

Napoléon au camp de Boulogne par la Fabrique Pellerin :  l’Angleterre grande absente

Malgré des traités de paix, les relations ne s’apaisent pas entre la France et l’Angleterre au début du XIXe siècle. Napoléon Ier décide même d’envahir l’ennemi séculier. Pour ce faire, il installe en 1803 une partie de son armée, près de 100 000 soldats, à Boulogne-sur-Mer. Pendant plusieurs années, les soldats se préparent à l’invasion en pratiquant des manœuvres et en construisant des navires. Napoléon vient régulièrement visiter le camp et assister à ces exercices.

L’estampe ci-dessous est issue de l’imagerie d’Epinal et exposée dans le château d’Hardelot. On voit l’Empereur en ce camp de Boulogne. Et pourtant l’Angleterre n’est ni dessinée à l’horizon, ni mentionnée dans la légende.

napoléon au camp de boulogne image d'Epinal
Épinal, imagerie Pellerin, Napoléon au camp de Boulogne, vers 1835, collections départementales, copyright: CD62

Alors que la création de ce camp est à mettre en relation avec l’Angleterre, pourquoi est-elle complètement ignorée sur cette représentation ?

Pour répondre à cette question, il nous faut d’abord nous replonger dans l’épopée de l’industrie de l’image spinalienne.

Du franc succès de l’imagerie d’Epinal au monopole de la Fabrique Pellerin

Si l’imagerie populaire remonte à l’invention de la gravure au XIVe siècle, c’est bien Epinal, une petite ville des Vosges, qui révolutionne l’industrie de l’image au XVIIe siècle. Elle devient l'un des principaux centres de fabrication. A tel point qu’une Image d’Epinal est devenu une sorte de nom commun pour désigner, au sens propre, une gravure de style naïf.

De nombreux ateliers voient le jour à Epinal car la forêt qui ceint la ville permet un apport de papier continu, qualitatif et quantitatif. Aussi, l’économie de la ville repose sur l’imprimerie et l’industrie cartière. Les artisans produisent des estampes, mais aussi des théâtres de papier, des jeux de sociétés ou des papiers peints. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le succès des ateliers tient beaucoup à la diffusion d’images religieuses, nommées « feuilles des saints » ou « feu d’saints », chères au peuple.

L’imagerie est populaire car ces artisans sont issus du peuple, restent majoritairement de condition de modeste et c’est pour le peuple qu’ils gravent des estampes abordables. La technique est simple : l’impression de la feuille est réalisée à partir d’une planche de bois, plus tard une plaque de métal, gravée et la colorisation à l’aide de pochoirs.

A la Révolution française, un fort esprit anticlérical voit le jour et les images de piété ne trouvent plus de clientèle. Il ne reste qu’un seul atelier en activité dans la petite ville. C’est sans compter sur Jean-Charles Pellerin, un spinalien né en 1756 qui redonnera à la ville toute sa gloire en la matière.

De bonne éducation, Pellerin s’est initié au métier de cartier pour prendre la tête de l’imprimerie de feu son père. Pendant plusieurs décennies, il se consacre à la production de cartes, même s’il est dit qu’il s’adonne aussi à la gravure d’images.

Pellerin n’est pas qu’un simple habile artisan. C’est un homme avisé et audacieux. Avec l’obtention d’un brevet d’imprimeur en 1800, l’entreprise artisanale devient une véritable industrie avec un atelier moderne de quatre presses. Il recrute des dessinateurs et des graveurs au style épuré et coloré. De ses presses sortent d’innombrables petits ouvrages et quantité d’images. Car fin psychologue, Pellerin comprend que le peuple n’a pas perdu le goût des images. A nouveau on réimprime des saints, des vierges ou des tableaux religieux comme la Cène ou le Baptême de Jésus-Christ. Sauf que cette fois-ci, l’industrie des images religieuses côtoie celle des estampes des contes et récits populaires comme l’histoire de Barbe-Bleue, des images satiriques évoquant par exemple le thème de l’argent (« Crédit est mort, les mauvais payeurs l’ont tué »), ou des portraits historiques (Nostradamus).

Si le fond diverge, toutes les productions de Pellerin ont la même forme : les personnages sont représentés de trois quarts, les couleurs sont vives et les traits simples. Au rouge, au jaune et au bleu, qui étaient les seules employées, viennent s’ajouter de l’indigo, du brun, du bleu verdâtre et un rouge orangé.

Sous le Premier Empire (1804-1815), Pellerin imprime quelques portraits de l’Empereur et de ses proches ou des événements comme son mariage avec Marie-Louise d’Autriche ou la naissance de l’héritier, le Roi de Rome. Ces estampes vendues par des colporteurs qui s’arrêtent sur les places de villages sont de bon marché et un vecteur d’informations plus populaire que la presse.

A la chute de l’Empire, tout ce qui rappelle Napoléon Ier doit être banni. Pellerin détruit les bois gravés et les planches imprimées. Dans le même style et le même encadrement, ce sont les portraits de Louis XVIII et de la nouvelle famille royale qui sortent maintenant des presses spinaliennes. Ainsi l’armée impériale devient l’armée royale sur des planches quelque peu modifiées. En effet, les bois sont chers et longs à graver : il n’y a pas de petites économies.

Alors comment expliquer la présence au château d’Hardelot d’une planche commémorant la mort de « Napoléon-Le-Grand », dont la date de dépôt officiel est 1833 ?

L’Image d’Epinal au service de la légende napoléonienne

« Ouf ! Il est mort. On va donc enfin pouvoir parler de lui »

Sacha Guitry, incarnant Monsieur de Talleyrand dans le film Napoléon (Sacha Guitry, 1955)

Cette boutade n’est pas loin de la réalité. A la mort de Napoléon, ses détracteurs ne cessent d’alimenter une légende noire, faite de tyrannie et de défaites. Plusieurs éléments vont la contrecarrer.

Si la mort de Napoléon Ier laisse une partie de l’opinion publique indifférente, une autre partie en porte le deuil. Bon nombre de vétérans regrettent l’Empereur et en font un glorieux récit dans les chaumières. En 1823, la publication de ses mémoires par Emmanuel de Las Cases est un immense succès de librairie. C’est le récit d’un homme de milieu modeste, qui ne pouvait rêver qu’à devenir capitaine d’armée, mais qui sera Empereur dans une histoire où l’on est roi de père en fils. Si la vérité est bien plus paradoxale, le peuple retient que Napoléon est du peuple : il lui ressemble. On oublie sa tyrannie. La peur de représailles s’affadissant, le silence à l’égard de l’Empire s’estompe lui aussi. Aussi, dans le second quart du XIXe siècle, l’enthousiasme populaire pour l’Empereur redevient réel.

Pendant une quinzaine d’années, à côté des plus grands écrivains français qui magnifient et répandent la gloire de l’Empereur, Pellerin prend le relais. Il fait graver de nouvelles planches, inédites ou inspirées par des œuvres célèbres, glorifiant les hauts faits de Napoléon. L’Empereur, sa famille, son armée et ses victoires s’affichent comme jamais pour le plus grand plaisir de tous. Grâce à cette brillante idée, l’entreprise domine l’imagerie populaire en France. On dit qu’il n’est alors pas de demeure en France qui n’ait pas l’une de ses images exposées sur ses murs : toute la France connaît le nom de Pellerin.

C’est dans ce contexte que sont imprimées les deux estampes de l’Imagerie Pellerin précédemment citées, Napoléon au camp de Boulogne et la Mort de Napoléon-Le-Grand. Elles sont l’œuvre du graveur François Georgin, un admirateur de l’Empire.

Napoléon au camp de Boulogne

Le 16 août 1804, Napoléon remet à plus de 2000 soldats et civils la médaille de la Légion d’honneur qu’il a créée deux ans auparavant.

napoléon au camp de boulogne image d'Epinal
Copyright: CD62

Aussi, bien plus que le camp de Boulogne, c’est en fait cet événement en particulier que représente le graveur sur cette estampe. Napoléon est au centre de la composition, entouré de ses hommes. Il est en train de décorer de la Légion d’honneur le soldat face à lui. En contrebas, nous pouvons distinguer un orchestre rythmant la remise des décorations ainsi que les troupes et les navires rassemblés dans le port.

Le dessin met donc en valeur des éléments positifs : la création de la Légion d’honneur, la proximité du chef militaire avec ses armées et la fête à l’occasion de cet événement. Le conflit héréditaire avec l’Angleterre et la tentative d’invasion sont complètement passés sous silence.

Mort de Napoléon-Le-Grand

Le 5 mai 1821, Napoléon Ier s’éteint sur l’île de Sainte-Hélène, où il a été fait exilé par les Anglais après sa défaite en 1815.

mort de Napoléon le Grand image d'Epinal
gravure de Georgin, Épinal, imagerie Pellerin, Mort de Napoléon le Grans, vers 1833, collections départementales, copyright: CD62

La composition évoque celle d’un tableau peint par Carl von Steuben en 1821. Le graveur en reprend les éléments forts : l’Empereur est habillé d’un vêtement blanc, tel un linceul, à droite un officier anglais vient constater le décès, le grand Maréchal Bertrand, sa femme et leurs enfants veillent.

Georgin ajoute aussi d’autres éléments. La couronne de lauriers déposée sur les pays conquis par Napoléon, les drapeaux français, l’aigle royal surplombant le lit ne laissent que peu de doute sur les intentions du graveur. Tout de même, le texte complète que Napoléon est « le plus grand homme des temps modernes » alors que ceux qui ont fait retiré sa statue de la colonne de la Grande Armée sont des « vandales ».

Publiée en 1833, l’estampe évoque le retour de sa dépouille en France et souhaite que cette ambition se réalise. Cela sera finalement exaucé en 1840 : dans une volonté de réconciliation nationale, le roi Louis-Philippe fait revenir de Sainte-Hélène la dépouille de Napoléon.

On entend et retient de Napoléon Ier toutes les grandes choses qu'on lui raconte. Aussi, la diffusion de telles images et leur force expressive contribue à diffuser les idéaux bonapartistes et d’un règne doré. Les textes accompagnant les images sont également des manifestes du roman national en construction sous Louis-Philippe.

La légende napoléonienne tire sa force du fait que ce n’est pas seulement une construction des artistes ou des historiens mais parce que chacun s’en est emparé.

Au XXe siècle et encore aujourd’hui, Napoléon est toujours là. De quel autre souverain débattons-nous autant les idées ? De quel autre souverain commémore-t-on avec autant d’ampleur le bicentenaire de la mort ?